Ce que l’on sait du scandale qui éclabousse la FIFA
Le Monde.fr | 28.05.2015 à 04h52 • Mis à jour le 28.05.2015 à 08h48
La Fédération internationale de football (FIFA) a été frappée, mercredi 27 mai, par un double séisme. D’abord avec l’arrestation à Zurich de sept responsables soupçonnés de corruption, à la demande de la justice américaine, puis parallèlement avec la perquisition de son siège zurichois, dans une enquête concernant l’attribution des Coupes du monde en 2018 et 2022.
Ce scandale intervient à deux jours de l’élection à la présidence de l’instance mondiale, où l’omnipotent et contesté Joseph Blatter, 79 ans, en poste depuis 1998, briguera un cinquième mandat.
Quels sont les faits reprochés ?
Blanchiment, comptes cachés, millions de dollars de pots-de-vin : la justice américaine a dressé un état des lieux accablant d’une corruption, selon elle, « endémique » au sein de la FIFA. Les 47 chefs d’inculpation retenus contre neuf responsables de la FIFA, dont deux vice-présidents, et contre cinq partenaires, les accusent de « racket, fraude et blanchiment », sur une période de vingt-cinq ans, durant laquelle ces responsables du football mondial auraient « sollicité et reçu plus de 150 millions de dollars en pots-de-vin et rétrocommissions » en échange notamment des droits médiatiques et marketing pour les tournois internationaux de football.
Le document de 167 pages, fruit de plusieurs années d’enquête, raconte des entreprises écrans, des paradis fiscaux, des comptes cachés à l’étranger, des enveloppes de cash, l’achat de propriétés et l’utilisation d’« accords de services de consultants et autres types de contrats pour créer une apparence de légitimité pour des paiements illicites ». Des dizaines de millions de dollars ont également été retrouvés dans des comptes à Hongkong, aux îles Caïmans ou en Suisse. Le FBI a aussi perquisitionné le siège de la Confédération d’Amérique du Nord, centrale et Caraïbes (Concacaf) à Miami.
Quels sont les matchs et compétitions visés ?
Les faits de corruption concernent notamment l’attribution de la Coupe du monde 2010 à l’Afrique du Sud ou encore l’attribution des droits pour le centenaire de la Copa America l’an prochain aux Etats-Unis. Selon la ministre américaine de la justice américain, Loretta Lynch, la corruption et les pots-de vin se sont étendus à l’élection du président de la FIFA en 2011, et à « des accords concernant le parrainage de l’équipe nationale de football du Brésil par une grande entreprise d’équipement sportif américaine ». De nombreuses rencontres, toutes sur le continent américain, sont également dans le collimateur de la justice américaine.
Dans une procédure distincte, le parquet suisse a annoncé avoir saisi des documents électroniques au siège de la FIFA à Zurich, dans le cadre d’une procédure pénale contre X pour soupçon de blanchiment d'argent et gestion déloyale entourant les attributions des Coupes du monde 2018 et 2022 à la Russie et au Qatar. Cette procédure, ouverte depuis le 10 mars, n’avait pas été rendue publique jusqu’à mercredi.
Quelles sont les personnes mises en cause ?
Quatorze personnes – neuf membres ou anciens membres de la FIFA et cinq dirigeants d’entreprises de marketing sportif liées à la FIFA – sont mises en cause par la justice américaine.
Les responsables inculpés à New York sont Jeffrey Webb, vice-président de la FIFA et président de la Concacaf ; Eduardo Li, membre des comités exécutifs de la FIFA et de la Concacaf ; Julio Rocha, chargé du développement à la FIFA ; Costas Takkas, attaché au cabinet du président de la Concacaf ; Eugenio Figueredo, actuel vice-président de la FIFA ; Rafael Esquivel, membre du comité exécutif de la Conmebol ; José Maria Marin, membre du comité d’organisation de la FIFA pour les Jeux olympiques ; Nicolas Leoz, ancien membre du comité exécutif de la FIFA, ainsi que Jack Warner, ex-membre du comité exécutif déjà impliqué dans de nombreuses affaires de corruption, arrêté à Trinidé-et-Tobago. Ces deux derniers n’ont pas été arrêtés mercredi en Suisse.
Sont aussi accusés dans cette affaire Alejandro Burzaco, Aaron Davidson, Hugo Jinkis et Mariano Jinkis, tous partenaires de la FIFA chargés du marketing, ainsi que José Margulies, intermédiaire qui aurait facilité des paiements illégaux.
Que risque Sepp Blatter ?
Les autorités américaines ont refusé de répondre à toutes les questions concernant le président de la FIFA, Sepp Blatter, qui doit briguer vendredi un cinquième mandat à la tête de la surpuissante et richissime institution. De nombreuses voix, dont celle du comité exécutif de l’UEFA, se sont élevées pour demander un report de six mois du congrès de la FIFA et du scrutin présidentiel.
Le directeur de la communication de la FIFA a toutefois martelé lors d’une conférence de presse que Sepp Blatter resterait le président de la FIFA et continuerait à briguer un nouveau mandat. Sans s’exprimer sur la question, le Suisse a déploré dans un communiqué « un moment difficile pour le football, les supporteurs et la FIFA » et assuré que « ceux impliqués seront exclus du jeu ». Son seul adversaire, le prince Ali de Jordanie, a, quant à lui, évoqué dans un bref communiqué « un jour triste pour le football ».
Pourquoi les Etats-Unis sont-ils à l’origine de l’enquête ?
Les interpellations, mercredi matin, par des policiers suisses, à la demande des Etats-Unis, n’ont pas manqué d’interroger. « Tous ces accusés ont abusé du système financier américain et violé la loi américaine, et nous avons l’intention de les tenir pour responsables, a précisé la ministre de la justice américaine lors de sa conférence de presse. A de nombreuses occasions, les accusés et conjurés ont planifié certains aspects de ce complot de longue date aux Etats-Unis. Ils ont utilisé les banques et les possibilités de virement aux Etats-Unis. »
La loi américaine permet en effet de poursuivre des ressortissants étrangers à l’extérieur du territoire des Etats-Unis, à partir du moment où les faits reprochés ont été commis grâce à une banque ou à un fournisseur d’accès à Internet situé aux Etats-Unis. Couramment utilisée dans les cas de terrorisme, cette procédure peut aussi être appliquée dans les affaires de corruption.
Quelles sont les prochaines étapes ?
Six des sept responsables de l’organisation internationale interpellés ont déjà fait savoir qu’ils refuseraient l’extradition vers les Etats-Unis, demandée par la justice américaine. La Suisse a fait savoir qu’elle allait déclencher la procédure classique, à savoir demander à Washington de faire « parvenir des demandes formelles d'extradition à la Suisse dans un délai de 40 jours ». Les accusés risquent jusqu’à vingt ans de prison.
Les interpellations ne sont « que le début » de l’offensive lancée mercredi par la justice américaine, a prévenu le procureur fédéral de Brooklyn Kelly Currie, sans toutefois préciser si d’autres inculpations étaient à attendre prochainement.
Les scandales pourraient également avoir des répercussions économiques. Plusieurs sponsors associés à la Coupe du monde se sont d’ores et déjà inquiétés de ces rebondissements judiciaires. Adidas, Coca-Cola, McDonald’s ou encore Visa ont exhorté l’organisation à régler ces problèmes et à prendre des mesures rapides. Si Adidas a indiqué qu’il maintenait son soutien financier à la FIFA, Visa a fait savoir qu’il « réévaluera[it] son parrainage » si des changements n’intervenaient pas. L’équipementier américain Nike, qui pourrait être impliqué dans le versement de pots-de-vin liés au sponsoring de la Fédération brésilienne de football, a, pour sa part, affirmé « coopérer avec les autorités ».
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