Le Pharaon, roi d’Egypte, fait deux rêves, pouvons-nous lire dans la sidra de cette semaine. Dans le premier, le souverain se voit debout sur les berges du Nil.
Et voici que sortirent du fleuve sept vaches, belles et grasses et elles se nourrirent dans l’herbe. Et voici que sept autres vaches sortirent après elles du fleuve, laides et décharnées et elles se tinrent près des autres vaches sur le bord du fleuve. Et les vaches laides et décharnées dévorèrent les sept vaches belles et grasses. (Genese 41 :1-4)
Dans son second rêve, Pharaon voit sept épis de grains maigres et flétris avaler sept épis pleins.
Aucun des sages d’Egypte qu’il a consultés ne peut offrir au Pharaon une interprétation de ses rêves qui le satisfasse. Alors, «le jeune esclave hébreu», Joseph, est convoqué et conduit du donjon de la prison vers le palais. IL interprète les rêves comme signifiant que sept années d’abondance, symbolisées par les sept vaches grasses et les sept épis pleins, seront suivies par sept années de famine, figurées par les sept vaches décharnées et les sept épis flétris. Les sept années de famine seront si épouvantables qu’elles «avaleront» et effaceront toute trace de l’abondance antérieure. Yossef donne alors au Pharaon des conseils pour gérer cette situation : «Maintenant, le Pharaon doit rechercher un homme de prévoyance et de sagesse et lui faire gouverner l’Egypte. Un système de rationnement devra être mis en place en Egypte, pendant les sept années de richesse», explique Joseph, «où le grain sera engrangé en prévision des sept années de famine.»
Le Pharaon est stupéfait par la clairvoyance de Joseph. «Il n’existe personne qui comprenne si bien et soit si avisé que toi» dit-il à Joseph. «Tu seras en charge de ma maison et tout mon peuple sera dirigé en fonction de ta parole…» Et de fait, Joseph est nommé vice-roi d’Egypte.
Trois questions
Les commentateurs débattent de trois questions majeures concernant ce remarquable épisode.
Tout d’abord, il est difficile de comprendre comment, à la suite de l’interprétation des rêves, Joseph se permit de donner au Pharaon des conseils pour faire face à la famine imminente. Comment un esclave qui venait à peine d’être libéré ne craignit-il pas d’offrir au roi de l’Egypte un avis qui n’avait pas été sollicité ? D’autre part, il ressort clairement du récit que le Pharaon fut réellement impressionné par la solution que proposa Joseph. Mais il ne faut pas être bien savant pour suggérer que, si on attend sept années d’abondance suivies de sept années de famine, il faut emmagasiner des provisions pendant la première période. En quoi le conseil de Joseph était-il génial ?
Enfin, le Pharaon fut stupéfait par l’interprétation que donna Joseph de ses rêves eux-mêmes, ce qu’aucun de ses sages n’avait pu concevoir. Mais cette interprétation paraît simple et évidente. Quand les vaches sont-elles grasses ? Quand la nourriture est abondante. Quand sont-elles décharnées ? Quand elles n’ont rien à manger. Quand le grain est-il plein ? Quand la récolte est riche. Quand est-il flétri ? En temps de famine. Pourquoi le Pharaon fut-il si émerveillé par l’explication de Joseph ? Pourquoi personne d’autre ne put proposer la même ?
Unir les vaches
le Rabbin de hassidut Lubavitch présenta l’explication suivante :
Les experts égyptiens proposèrent bien l’interprétation de Joseph pour les rêves du Pharaon. Mais ils l’abandonnèrent parce qu’elle ne tenait pas compte d’un détail important.
Dans le premier rêve, ils voyaient comment les sept vaches laides et décharnées qui sortaient après les sept belles vaches «se tenaient à côté des autres vaches [grasses] au bord du fleuve.» En d’autres termes, il y eut un moment où les quatorze vaches furent présentes ensemble et c’est seulement après que les vaches maigres commencèrent à avaler les grasses. C’est ce détail du rêve qui poussa les experts à rejeter l’interprétation que Joseph offrirait plus tard au Pharaon et les obligea à rechercher des explications plus farfelues les unes que les autres.
Comment est-il concevable que coexistent l’abondance et la famine ? Soit les vaches grasses sont présentes seules, soit les décharnées. Mais les deux ensemble ? Les sept années de famine ne peuvent être simultanées aux sept années d’abondance !
Le génie de Joseph apparut quand il dit au Pharaon comment se préparer à la famine future, il ne lui offrit pas un conseil inopportun sur la manière de diriger son pays. Mais le conseil faisait lui-même partie de l’interprétation du rêve.Joseph avait compris que la coexistence des deux groupes de vaches contenait la solution pour la famine qui s’annonçait. Durant les années de plénitude, l’Egypte devait «vivre» avec les années de famine comme si elles étaient déjà actuelles. Même pendant qu’elle jouissait de l’abondance, l’Egypte devait déjà imaginer la réalité de la famine à venir et mettre chaque jour de côté des aliments pour pouvoir l’affronter. Les sept vaches décharnées devaient être bien présentes et vivantes dans l’esprit et dans le comportement, pendant les années des vaches grasses. En conséquence, si ce système était implanté en Egypte, la nation continuerait à jouir de l’abondance des années riches, même pendant la famine. Les sept vaches grasses seraient encore présentes même pendant l’ère des vaches maigres.
Ce qui enthousiasma surtout le Pharaon fut la démonstration que fit Joseph du fait que ces rêves ne constituaient pas seulement la prédiction des événements futurs mais apportaient également les instructions à suivre pour y faire face. Ils n’évoquaient pas seulement les problèmes mais également leurs solutions.
Avez-vous besoin de Dieu ?
Avez-vous un véritable ami ?
La sagesse de la présentation de Joseph au Pharaon frappe par sa clarté quand nous réfléchissons sur le message spirituel qui se cache derrière cette histoire. Car, on le sait, les récits que rapporte la Torah ne font pas que décrire des épisodes intervenus à un certain moment de l’histoire mais ils détaillent des récits et éternels qui se produisent continuellement dans le cœur de l’homme.
Nous vivons tous des cycles de plénitude et des cycles de famine. Il y a des périodes où tout va très bien. Très à l’aise, souvent lors de tels moments, nous oublions d’investir du temps et de l’énergie à cultiver une véritable intimité avec notre famille, à développer des relations réelles avec nos amis et à créer un lien sincère avec Dieu. Nous nous suffisons à nous-mêmes… Cependant, quand arrive une période de famine, quand surgit une crise grave , nous ressentons soudain le besoin d’aller chercher à l’extérieur et d’entrer en relation avec ceux que nous aimons et avec Dieu.
Telle est l’essence de la sagesse de Joseph : ne jamais séparer les années de richesse des années de famine. Quand nous vivons l’abondance, ne nous laissons pas aveugler et désensibiliser à ce qui est réellement important dans la vie. Les priorités que nous cultivons pendant les «bonnes années» nous soutiendront également quand nous en aurons besoin.