En retraite au mont des Cats : 24 heures pour apprivoiser le silence
PUBLIÉ LE 15/08/2015
PAR CLAIRE LEFEBVRE - PHOTOS CHRISTOPHE LEFEBVRE
À l’entrée. Il faut sonner à la lourde porte en bois où une pancarte prévient: « Le monastère ne se visite pas. » Si aucun certificat de baptême n’est demandé, on ne vient pas ici en touriste. Le frère hôtelier avait insisté au téléphone sur « la démarche spirituelle ». Ce qui frappe dans cette impressionnante bâtisse de briques rouges, c’est l’écho qu’elle renvoie : celui du silence que les moines cisterciens affectionnent tant.
Visite guidée. Dans son bureau, le frère hôtelier s’arrête de pianoter sur son ordinateur : son regard est malicieux tandis qu’on met notre portable sur silencieux. Le frère Bernard Marie nous guide vers notre chambre, à l’étage : un lit, un bureau avec une Bible, une chaise, un lavabo avec un miroir. Aux murs, une croix en bois et une icône. Une vue sur le bâtiment réservé aux moines par la fenêtre. Les règles aussi sont simples : « Silence, ponctualité, altruisme. Tout est rythmé par les offices. » Sept par jour. On n’ose demander jusqu’à quelle heure est le petit-déjeuner.
Une cloche sonne.
Midi : l’office de sexte. Les chants de la vingtaine de moines envahissent l’église immaculée. Ils étaient 80 en 1945, ont en moyenne 70 ans. Les retraitants sont une vingtaine eux aussi, au cœur d’août. Autant d’hommes que de femmes. Certains n’ont plus l’âge de se lever selon les rituels que tous ici savent sur le bout des doigts. Un étudiant, un Américain du Sud et un homme au physique de bonze nous intriguent.
12 h 20 : le repas muet
Une femme venue de la cuisine demande aux trois grandes tablées de manger en silence. Des chants sacrés et de la musique classique emplissent le réfectoire. à notre table, un homme se saisit de la louche et mène la discussion muette qui permet à chacun de se voir servir la dose de potage qui lui convient. Quelques « merci » sifflent tout de même. Mais aucun mot ne sera prononcé, même en cas de force majeure. Même quand une convive arrivée en retard entreprend de se servir sans s’apercevoir qu’il lui manque une assiette creuse. Yeux qui s’écarquillent, hochements de menton, mimes avec les mains : l’homme à la louche a eu le temps d’aller chercher le récipient adéquat.
Le repas reprend en silence. Sauf qu’on entend tout : chocs des couverts sur les assiettes, aspirations, mastications, déglutitions. Le repas n’est pas frugal : après le potage, boulettes de viande en sauce et riz, fromage de l’abbaye et tarte aux pommes. Le soir, ce sera plus succinct, mais toujours avec la bière à volonté. Les convives se resservent volontiers. Sitôt la table desservie, tout le monde s’active pour nettoyer le réfectoire, faire la vaisselle et remettre le couvert. Après cela on peut se servir un café. Puis tout le monde semble s’évaporer dans la nature...
Encore des cloches.
Déjà les vêpres ? On sort de notre torpeur. Mais il n’est que 16 h 30 : la fin de la journée de travail des moines. Même si des camions-citernes et des salariés les ont remplacés à la fromagerie qui, avec ses 180 tonnes annuelles, n’a plus rien d’artisanal. La rentabilité s’est invitée dans la vie monacale. On passe par le réfectoire, où on avait repéré ce midi un panier de fruits et de friandises pour le goûter. Il est sérieusement dégarni. ça nous rassure : les autres retraitants non plus ne se contentent pas de nourritures spirituelles. Et savent qu’il faut des forces pour les vêpres, qui durent une heure...
18 h 15 : le dîner
On s’attable à nouveau. Mêmes gestes qu’à midi, des clins d’œil en plus. Le temps a passé vite finalement. L’horaire rappelle une vraie maison de retraite. Sauf qu’une fois débarrassée, la tablée se transforme en auberge du bout du monde : alors qu’on peut échanger quelques mots, une Australienne dit être en pèlerinage intime sur les traces de sa vie d’étudiante européenne. De la Pologne à Londres, elle a retrouvé d’anciens camarades. Ici, elle se retrouve elle-même.
À 20h, c’est le dernier office (complies). Le monastère ferme ses portes à 21 h sur un silence plus troublant que jamais. La lumière, par les vitraux, invite à prendre de la hauteur. On prend l’ascenseur pour regagner notre chambre.
Nuit.
Pas de livre, de télé, de radio pour connaître l’état instantané du monde. Mais un moustique. On va se lever tôt.
Vigile, 4 h 15
La messe dure une heure dans une étrange lumière. Rien de tel pour s’imprégner de ce que vit la communauté tirant de la solitude et du silence, synonymes d’exclusion à l’extérieur, sa force. Nous sommes trois retraitants – l’étudiant est là aussi. On feuillette l’épais classeur des intentions de prière : « cancer » et « chômage » sont les mots qui reviennent le plus. Il est aussi question de brouilles familiales, d’examens scolaires et de démons (dépression, alcool, drogues). Et de mercis « pour les belles rencontres que cette abbaye permet, pour toutes ces personnes blessées ou simplement en chemin ».
Banc avec vue.
Où sont les autres ? On sort dans le jardin. Personne. On s’assoit sur un banc perché à 164 m d’altitude. Le panorama est grandiose : on voit jusqu’au littoral, de Gravelines à Ostende. La frontière belge passe au milieu des champs de blé. On contemple. Mais on a peur de ne pas être là où ça se passe.
Solitude ?
On marche au milieu des arbres tutélaires et des fleurs comme semées par la main d’un géant. Toujours personne. Pourtant, on se sent observée. Aucun bruit, à part un oiseau, une abeille. On sent une présence. Silencieuse, mais une présence. On se fraie un passage parmi les branchages et on tombe nez à nez avec... JESUS. Sa statue émerge du massif d’hortensias.
Lecture.
Quelques pas plus loin, un rayon de soleil semble nous proposer une chaise dans l’herbe. On s’y installe. Le frère Bernard Marie nous a dissuadée de lire un roman : « ça vous distrait de la retraite, alors qu’un bon ouvrage de spiritualité... » On en a pris trois dans sa bibliothèque : un dico sur la philosophie cistercienne qui promet d’apporter « une réponse au sens de l’existence terrestre », l’autobiographique Conversion au silence d’un confrère – « un livre pour les survoltés » – et 24 heures de la vie d’un moine estampillé « sans tabou ». On vit sur un nuage.
Satané portable
« La retraite ne doit pas être une épreuve de force », a prévenu le frère hôtelier. Seulement, on sent des résistances à l’intérieur. En plus du silence, c’est l’inaction qu’il faut apprivoiser : on est coupée du rythme du monde tel qu’il va. Certes les codes wifi, qui sont affichés dans l’abbaye, fonctionnent. On a juste testé – par conscience professionnelle – mais depuis la matinée, on n’a pas regardé notre portable. On a même résisté à l’envie d’envoyer des textos.
Mais dans l’après-midi, alors que la minute d’avant on savourait le soleil dans la nuque et le vent complice, on s’est retrouvée rivée à notre écran, assaillie par les alertes info (la bourse d’Athènes, la profanation d’un cimetière, une alerte orage...). C’est à ce moment-là qu’est passé un retraitant. Il nous a chuchoté un « bonjour » parfaitement neutre. Mais tout dans son attitude – son pas tranquille, son regard vers le ciel, les mains jointes dans le dos – sonnait comme un reproche...
On a du mal à refermer la lourde porte en bois du monastère. Dehors, le bruit d’une mobylette nous fait sursauter. On a en tête cette phrase, glanée au fil de nos lectures d’abbaye, d’un ermite du VIIe siècle : « Le silence sera le langage des siècles à venir. » Terrible manque de clairvoyance à notre époque. À moins qu’elle ne soit un précepte moins divin qu’intérieur pour y survivre. On est repartie vers notre vie mondaine pas totalement convaincue par le journalisme contemplatif, mais notre pas, imperceptiblement, s’est ralenti.
Effectuer une retraite au Mont des Cats
Ça ne veut pas dire entrer au couvent ! Le retraitant a le droit de téléphoner tant qu’il respecte la tranquillité des autres. Il y a des horaires à respecter, mais il peut aussi aller faire une rando, un footing. « Mais ce n’est pas utile de venir à l’abbaye pour la fuir sans cesse ! », sourit le frère Bernard Marie.
On peut s’entretenir avec un moine et assister à deux ou trois des temps de prière est recommandé. Possibilité d’être accueilli en couple (concubins, mariés ou divorcés).
Pour 24 heures (nuit + 2 repas): 40 €. 2470, route du Mont des Cats, 59270 Godewaersvelde. 03 28 43 83 60.
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