Pakistan : le règne du cruel Fazlullah annoncé
Les talibans viennent de se choisir un nouveau chef, qui s'est juré d'instaurer la charia et de détruire l'État et l'armée de son pays.
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Les drones américains ont eu raison de Hakimullah Mehsud, pulvérisé par un missile le 1er novembre. Mais la mort du chef du mouvement des talibans pakistanais (TTP) n'a pas décapité l'organisation. Elle a propulsé à sa tête un ennemi acharné de l'État et de l'armée, le mollah Fazlullah. L'homme qui a commandé en 2012 la tentative d'assassinat sur la jeune Malala Yousafzai, qui menait campagne pour la scolarisation des filles de la vallée de Swat dans le nord du pays.
Un turban noir qui lui écrase la tête et une barbe broussailleuse, Fazlullah a nourri sa haine des institutions pakistanaises à l'ombre de son beau-père, Sufi Muhammad. Ce religieux réclamait l'instauration de la charia dans la vallée de Swat, dans le nord-ouest du pays, il y a vingt ans. À l'époque, Fazlullah fréquentait l'école coranique de Sufi Muhammad. En 2004, il met à profit sa formation pour prêcher sa vision de l'islam sur une radio pirate.
Orateur hors pair, ce fils de paysan sans terre ressent le ras-le-bol de la population à l'égard d'un État défaillant. Dans son district natal de Swat, la justice est corrompue. Les politiciens locaux sont des propriétaires terriens et des usuriers qui exploitent leurs ouvriers et les piègent dans le surendettement. Fazlullah exploite le ressentiment des déshérités. «L'Islam nous enseigne que nous sommes tous égaux devant Allah. La terre n'appartient qu'à Lui, clame-t-il un jour sur sa radio. Si vous me rejoignez, vous deviendrez des soldats d'Allah et vous recevrez des terres.» «Mollah radio», comme on le surnomme, fait incendier les magasins de disques, interdit aux coiffeurs de raser leurs clients, ordonne aux écolières de porter la burqa. Son conservatisme plaît aux femmes âgées et à la classe moyenne pieuse qui a travaillé dans les pays du Golfe. Les dons affluent.
Unification et compromis
Le 11 juillet 2007, l'armée pakistanaise prend d'assaut la Mosquée rouge, un fief des fondamentalistes au cœur de la capitale, Islamabad. Fazlullah enrage. Il appelle ses auditeurs au djihad. Avec l'aide du Jaish-e-Mohammed, un groupe islamique armé pakistanais, et la complicité de fonctionnaires qui rejettent la dictature du général Musharraf, Fazlullah arme ses fidèles. À l'été 2007, sa milice, la Shaheen brigade (la brigade des martyrs) attaque les commissariats et instaure une administration parallèle à Swat.
Le règne de Fazlullah prend fin au printemps 2009 quand l'armée reprend la région. Fazlullah fuit en Afghanistan. De là, il multiplie les opérations coup de poing contre des postes avancés et des villages pakistanais dans la région de Dir, le long de la frontière. Les autorités intensifient leur traque. La mère de Fazlullah est arrêtée, puis meurt en détention. «Fazlullah a beaucoup perdu dans sa guerre, et le TTP apprécie ceux qui se sacrifient pour la cause», explique Rahimullah Yusufzai, rédacteur en chef du quotidien The News à Peshawar, qui couvre la région depuis trente ans.
«Fazlullah a beaucoup perdu dans sa guerre, et le TTP apprécie ceux qui se sacrifient pour la cause.»
Rahimullah Yusufzai, The News Peshawar
Surtout, la nomination de Fazlullah marque l'unification du mouvement taliban. Depuis quatre ans, le TTP était divisé entre la faction de Wali-Ur-Rehman et celle d'Hakimullah Mehsud. Ces deux chefs de guerre pachtouns de la tribu des Mehsud s'étaient disputé la direction de l'organisation jusqu'à leur mort. «Chacune de ces factions voulait imposer son candidat. Fazlullah n'appartient à aucune d'entre elles, et, en le choisissant, le TTP a trouvé un compromis», précise Rahimullah Yusufzai. Fazlullah est secondé par Khalid Haqqani, un religieux issu de l'école coranique Darul Uloom Haqqania, près de Peshawar. L'établissement est célèbre pour avoir formé le mollah Omar. Cette nouvelle direction va accentuer le radicalisme religieux du mouvement, déterminé à renverser une démocratie jugée impie.
Vendredi, le premier ministre Nawaz Sharif a affirmé que le gouvernement tentait toujours de négocier un cessez-le-feu. Pourtant, le porte-parole du ministère de l'Intérieur, Omar Hamid, paraît hésitant: «Vu les derniers événements, nous sommes en train de réexaminer la situation», a-t-il indiqué au Figaro. Ces derniers mois, les appels à discuter avec les talibans se sont multipliés, en particulier dans les rangs du Parti de la justice (PTI), au pouvoir dans la province de Khyber Pakhtunkhwa. Cette région est la plus touchée par les attaques des talibans. «Le pouvoir civil veut donner une chance à la paix, et les militaires vont jouer le jeu, confie un officier du haut commandement de l'armée. Mais l'intransigeance des talibans est forte. La guerre va reprendre. Tôt ou tard.»