DÉCRYPTAGELes
propos de Manuel Valls sur l'incapacité des Roms à s'intégrer a mené la Commission à rappeler les règles en matière de libre circulation applicable à ces populations, et menacé l'hexagone de poursuites.
En adhérant à l’Union européenne, la Roumanie et la Bulgarie ont manifestement réussi à communautariser leur incapacité à vivre avec leur minorité Rom. Avec une régularité métronomique, le sujet enflamme les opinions publiques des pays européens confrontés à une population dont elle ne partage pas le mode de vie et qu’elle estime «inassimilable». Après l’Italie de Romano Prodi, en 2007, après la France de Nicolas Sarkozy en 2010, c’est à nouveau l’hexagone qui fait parler de lui, Manuel Valls, le ministre de l’Intérieur, jugeant que les Roms sont majoritairement incapables de s’intégrer et devront donc être reconduits dans leur pays.
Roms: pourquoi la Commission européenne sermonne la France Par Jean Quatremer
En pleine polémique, un camp de Roms démantelé à Roubaix
La Commission européenne, comme en 2007, comme en 2010, s’est étranglée. Le gouvernement français semble avoir oublié que la Roumanie et la Bulgarie, pays d’origine des Roms se trouvant en France, sont aussi membres de l’Union (depuis 2007) ce qui donne à leurs citoyens, fusent-ils issus d’une minorité maltraitée, des droits garantis par les traités. «La libre circulation, comme la liberté de résider dans un autre pays, sont des droits fondamentaux», a ainsi rappelé le porte-parole de la Commission, Olivier Bailly. En particulier, l’intégration n’est pas une condition pour exercer son droit à séjourner dans un autre État membre...
Néanmoins, il faut distinguer selon la durée du séjour : durant trois mois, tous les citoyens européens peuvent librement circuler dans les vingt-huit pays de l’Union sans qu’on ne puisse rien leur demander. Le fait que ni la Roumanie, ni la Bulgarie ne soient membres de l’espace Schengen ne change rien à l’affaire : les papiers de leurs citoyens seront contrôlés aux frontières externes de l’espace, comme ceux des Britanniques, mais c’est tout.
En revanche, au-delà de 3 mois de séjour, les citoyens doivent prouver qu’ils disposent soit de ressources suffisantes, soit d’un emploi, afin qu’ils ne deviennent pas une charge pour la collectivité d’accueil. Et comme ils sont Européens, l’accès à l’emploi ne peut leur être refusé. Sauf, bien sûr, en cas de mesures transitoires prévues par les traités d’adhésion, ce qui est le cas des Roumains et des Bulgares. Mais, à partir du 1er janvier 2014, les dernières restrictions à la liberté d’établissement seront levées : ils pourront donc librement venir travailler en France. En résumé, la reconduite à la frontière des Roms n’est donc possible que si le délai de trois mois est dépassé et qu’ils n’ont ni travail, ni ressource.
La Commission, dans son rôle de gardienne des traités, se dit prête à poursuivre la France si elle ne respecte pas les droits des Roms ou si elle prend des mesures d’expulsion collective expressément interdites. «Si ces principes inscrits dans les traités ne sont pas respectés, la Commission utilisera tous les moyens à sa disposition», a clairement menacé Olivier Bailly. Bruxelles a déploré une confusion «volontaire ou involontaire» dans les règles et principes européens faite par les responsables politiques en France. «Il y a de l’élection dans l’air en France», a résumé Viviane Reding, la vice-présidente de la Commission chargée de la Justice.
Celle-ci a rappelé, au passage, que, sur les sept dernières années, l’Union a mis à la disposition des États 50 milliards d’euros pour aider à l’intégration des personnes défavorisées, dont les Roms. La France, à elle seule, aurait pu utiliser 4 milliards d’euros : «Nous avons mis l’argent sur la table. Il pourrait servir aux maires et je vois que cet argent n’est pas utilisé», a déploré Reding regrettant l’absence de «projet d’insertion».
Jean QUATREMER BRUXELLES (UE), de notre correspondant
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